Geneviève O’Gleman: la nutritionniste chouchou du Québec
Publié le
30 juin 2023
Texte de
Virginie Landry
Quelle fut votre réaction lorsque vous avez été nommée récipiendaire du Laurier du Public?
C’était une grande surprise et tout un honneur. Honnêtement, quand mon nom a été dit, j’ai mis du temps à me lever. C’était surréaliste. J’étais honnêtement heureuse et fière d’être juste en nomination, mais de réaliser que les gens ont pris le temps de voter pour moi, c’est tout simplement renversant.
Plus encore: j’avoue ne pas savoir si les gens du milieu de la gastronomie me connaissent, par exemple les restaurateurs. Je ne suis pas chef, je n’ai pas de resto! Et de mon côté, je les admire beaucoup, je vais manger à leur resto. C’était donc un peu intimidant quand même d’être là. Ils font avancer la gastronomie, alors que moi, je ne fais que la vulgariser.
Justement, que ce soit une nutritionniste qui ait remporté le prix du public, qu’est-ce que ça apporte à la profession?
Collectivement, notre mission en tant que nutritionnistes a toujours été de sortir du carcan très restrictif qui a été mis en place il y a quelques années avec la popularité de nombreuses diètes. Il a beaucoup été dit que de bien manger, c’était de manger des choses plates, mais c’est tellement faux. Cela a toujours été ma mission, mon combat de carrière: rappeler aux gens que de manger nutritif ne veut pas dire s’enlever le plaisir de manger, au contraire! De savoir que ça plaît au public, c’est très encourageant.
On comprend mieux, en effet, qu’on peut manger sainement de façon gourmande. Toutefois, quels sont les défis du moment pour les nutritionnistes?
Oui, on est à une époque où il y a des messages variés, de beaux modèles de diversité et beaucoup de positivisme. Cependant, les jeunes se font beaucoup influencer par les réseaux sociaux, où il faut encore et toujours déconnecter l’alimentation et la culpabilité. Il faut normaliser les aliments, tous les aliments.
Il y a plein de choses que j’aime et qui sont associées à la malbouffe. Mes envies de manger de la poutine sont bien présentes, croyez-moi! Je pense qu’il suffit de revoir des recettes afin de fusionner le plaisir de manger avec des aliments nutritifs. Ce n’est pas vrai que le plaisir de manger se résume à manger sucré, salé et gras. C’est aussi de manger des aliments de qualité et de découvrir de nouvelles méthodes de cuisiner.
Selon vos observations, qu’est-ce que les Québécois aiment cuisiner?
Les Québécois sont pressés. Ils cherchent à cuisiner des repas faciles, simples, avec le moins d’ingrédients possible et un minimum de vaisselle. Et si c’est santé, c’est un bonus. Je me pose toujours cette question quand je crée une recette: est-ce que j’ai mes «3 S»? Santé, simple et savoureux. Ce sont mes critères.
D’autre part, les gens veulent de plus en plus manger en fonction de leurs valeurs. Maintenant, on veut respecter l’environnement, on veut cuisiner sans gaspillage alimentaire, on veut manger local, on veut manger quelque chose issu d’une agriculture durable et respectueuse des travailleurs. Je dois garder un équilibre entre tout ça pour rester accessible, tout en cuisinant selon mes valeurs aussi.
Justement, quelle est la place du «locavorisme» dans l’élaboration de vos recettes?
Ma responsabilité est d’éveiller les gens à d’autres ingrédients et à leur proposer plus d’aliments locaux, sans pour autant les brusquer dans leurs habitudes. C’est à moi de choisir les bons ingrédients, ceux que je veux que les gens utilisent eux aussi. Veut, veut pas, ils vont utiliser ce que j’ai écrit dans ma recette. J’ai donc une influence douce sur les aliments qui sont consommés et je fais ce que je peux pour ouvrir les horizons de mes lecteurs.
Il y a plusieurs petits gestes qu’on peut faire. Par exemple, je n’utilise que des crevettes nordiques et aucune autre variété. On en a au Québec, pourquoi s’en passer? C’est issu d’une pêche locale et responsable et c’est ça que j’ai envie de privilégier. Autres exemples? Vous ne verrez plus de quinoa ou d’avocat dans mes recettes. La façon dont ces aliments sont cultivés, ce que leur culture fait à l’environnement et aux travailleurs qui les récoltent, ce n’est pas dans mes valeurs. On n’a pas besoin d’avoir ces aliments dans notre alimentation, alors je les ai coupés.
Vous venez de publier votre livre Tellement frais, le 17e depuis 2006. Quelle est, selon vous, la place du livre de recettes au Québec.
C’est encore très populaire. Les gens aiment l’objet papier. Ils aiment écrire dedans, annoter leurs recettes préférées. Quand ils viennent me voir dans les salons du livre, je vois leurs copies: il y a des cœurs, des étoiles, des commentaires, quel membre de la famille a aimé ça, des aliments barrés, etc. Ça me fait tellement plaisir. Ça me confirme que le livre de recettes est encore bien en vie. Les livres, c’est la meilleure façon de développer des recettes sur une thématique particulière ou de créer un univers.
En rafale
- Votre cuisine préférée? Je suis en amour avec l’Italie! Une pizza au four à bois, c’est le paradis pour moi.
- Votre recette la plus populaire? Mes muffins aux bananes riches en fibres, c’est la plus cuisinée de toutes. Elle date du début de ma carrière, je l’avais publiée dans un de mes premiers livres. Elle a tout pour plaire, c’est réellement la préférée du public… et de ma fille, aussi!
- Votre projet coup de cœur? J’ai eu la chance de créer des recettes pour manger en plein air, un partenariat avec la Sépaq que j’ai adoré faire. Je suis une fille d’extérieur, je suis toujours dehors. Alors de pouvoir jumeler mon amour pour les activités en nature et celui de bien manger, c’était un réel plaisir.