Quand on sait que «les répercussions de l’alimentation humaine, à l’échelle planétaire, seraient responsables de 26% des émissions de GES», on se dit que de changer notre manière de s’alimenter pourrait avoir une influence majeure sur la santé de l’environnement. Et c’est d’ailleurs ce que propose Laure Waridel dans son plus récent ouvrage, La transition, c’est maintenant. Caribou s’est entretenu avec l’écosociologue et co-porte-parole du Pacte pour la transition afin de savoir comment s’y prendre pour entamer une transition écologique par nos assiettes.
Un texte d’Audrey Lavoie
Pouvons-nous faire réduire considérablement notre empreinte écologique grâce à nos choix alimentaires?
C’est certainement la manière la plus facile de le faire. Trois fois par jour, on peut avoir un effet moins négatif sur l’environnement en faisant des choix différents. Ça commence par l’emballage, mais évidemment le choix du produit, sa provenance, son mode de culture et de transformation sont aussi importants. Il est aussi prouvé que de réduire notre consommation de viande a des bénéfices sur l’environnement et sur la santé humaine. Peut-on choisir une viande de plus grande qualité, produite dans des conditions plus respectueuses, non seulement pour l’environnement, mais aussi pour le bien-être des animaux? Nos pratiques d’élevage actuelles sont inacceptables!
Êtes-vous végétarienne ou végétalienne?
Je mange de la viande environ une fois par semaine, et celle que je mange est biologique ou sauvage – mon mari est chasseur. J’ai trois adolescents assez carnivores, donc ça ne ferait pas le consensus chez moi. J’aimerais aller plus loin, c’est sûr, mais on est tous pris dans des réalités différentes. L’important, c’est de faire en sorte que tout le monde réduise sa consommation de viande. Globalement, si 1% de la population devenait végétalienne, ce serait super. Mais ce qui aiderait encore plus, c’est si 80% de la population réduisait sa consommation de viande de 20%.
Le problème qui empêche sûrement bien des gens de choisir des aliments plus responsables, c’est que manger bio, équitable et plus sainement coûte habituellement plus cher...
On a un système agroalimentaire à deux vitesses. Cela dit, au-delà du revenu, le facteur qui a la plus grande incidence sur les choix alimentaires est le niveau d’éducation général et culinaire. Si on cuisine davantage et qu’on réduit notre consommation de viande, il y a moyen de se nourrir bio, local et de saison à des prix tout à fait comparables au panier d’épicerie moyen.
C’est sûr que le chou-fleur qui vient de la Californie est cher en février. Mais les carottes, les navets, les choux, les courges du Québec sont tout à fait abordables en tout temps. On a encore tendance l’hiver à vouloir manger la même chose que l’été.
«Si on payait le vrai prix pour nos aliments, il y aurait moins de gaspillage parce qu’on connaîtrait la vraie valeur de chaque aliment. Mais on n’a pas l’habitude de ça. On voit l’alimentation comme quelque chose d’acquis.»
Devant l’ampleur de la catastrophe écologique actuelle, on a l’impression qu’individuellement, nos choix ne pèsent pas lourd dans la balance. Peuvent-ils réellement contribuer à faire changer les choses?
Pour moi, la consommation responsable est une forme de participation à la démocratie, mais il ne faut pas que ça se résume uniquement à cela. En parallèle, il faut voter pour des partis qui vont mettre en place des politiques publiques et qui vont défendre ce en quoi on croit; il faut prendre la parole publiquement et s’engager dans des organisations et des mouvements. En parlant avec des agriculteurs, on se rend compte que, s’ils ont fait la transition vers la culture biologique, ce n’est pas à cause des politiques publiques, mais bien parce qu’il y a eu des consommateurs qui les ont soutenus dans ce choix-là. Ça prend à la fois des actions individuelles et des actions collectives pour amorcer la transition.
«Les politiques publiques ne changent pas s'il n'y a pas des individus qui changent, s'il n'y a pas des gens qui passent de la parole aux actes.»
Dans votre livre, on peut lire que «chaque repas nous relie à des millions de personnes qui cultivent, récoltent, transforment, emballent et vendent notre nourriture». Sommes-nous déconnectés de ce que nous mangeons?
Absolument. Cette prise de conscience là est fondamentale, parce qu’on ne voit pas sa tomate de la même manière quand on connaît la personne qui l’a cultivée ou quand on l’a soi-même cultivée. Pour qu’on se sente responsable des gestes qu’on fait et des personnes qui dépendent de plusieurs de nos choix alimentaires, il faut se reconnecter au système agroalimentaire. Trop souvent, on voit le geste de consommer comme quelque chose de purement individuel, mais pour se nourrir, on est extrêmement dépendants les uns des autres et à la merci des écosystèmes et du climat.
On a beaucoup entendu dire qu’une agriculture biologique ne pourrait pas remplacer le modèle industriel actuel pour nourrir la population mondiale. Dans les faits, que disent les études ?
Selon l’Organisation des Nations unies (ONU) pour l’alimentation et l’agriculture, il y a moyen de nourrir l’ensemble de la population de manière beaucoup plus durable même en réduisant l’utilisation de pesticides et en passant à l’agriculture biologique. Ce qui est clair, c’est que, de toute façon, à moyen et à long termes, l’agriculture industrielle ne nourrira pas la planète parce qu’on est en train d’appauvrir les sols, de polluer nos cours d’eau et de transformer le climat. Donc, soit on fait la transition volontairement dès maintenant pour réduire ces effets, soit on s’en va vers des crises et des problèmes d’insécurité alimentaire beaucoup plus importants que ce qu’on vit maintenant.
Croyez-vous qu’il soit encore possible de faire cette transition?
Je vois bien que la fenêtre d’action se rétrécit. Déjà il y a deux ans, le secrétaire général de l’ONU disait qu’on avait deux ans pour prendre les décisions qui permettraient de réduire de 7,6% par année nos émissions de GES. On parle du climat à l’international depuis 1988 et, pourtant, les émissions augmentent année après année. C’est décourageant, mais s’il y avait un grand éveil de la population, je pense qu’on pourrait encore éviter le pire. Tout finit par avoir des répercussions et il faut voir à quel point on a tous infiniment plus de pouvoir qu’on est porté à le croire lorsqu’on passe de la parole aux actes. La pire chose, c’est d’être cynique et de se dire qu’on ne peut rien faire. Dans ce cas, la bataille est déjà perdue. Greta Thunberg dit que l’espoir est dans l’action, et ça résume bien ce que je pense. Des études sur le bonheur ont démontré que d’être actif par rapport à une situation qui nous dérange est positif pour la santé mentale. L’action est le meilleur antidote à l’écoanxiété!
«Est-ce qu’on veut dire à nos enfants qu’on ne s’est pas battu pour eux? Qu’on a accepté d’aller vers un réchauffement global de 5%? Non, moi je REFUSE de faire ça. Je vais me battre pour mes enfants jusqu’à la mort s’il le faut.»
Laure Waridel, qui a créé en mars, avec l'autrice Anaïs Barbeau-Lavalette, le mouvement Mères au front, pour protéger l'avenir de nos enfants de la crise climatique.
La transition, c’est maintenant
Laure Waridel
Écosociété
Des gestes à faire 3 fois par jour pour la planète...
...et quelques outils et références pour mieux le faire
➤ Réduire sa consommation et le gaspillage alimentaire
- Écouter le documentaire Prêts pour la décroissance? à Télé-Québec
- Consulter le site Glouton, un annuaire intelligent qui permet de trouver des recettes par mot-clé ou par ingrédient, et ainsi de moins gaspiller
➤ Manger moins de viande et de produits animaux
➤ Privilégier les produits biologiques, locaux et équitables
➤ Choisir des produits aussi peu emballés que possible ou emballés dans des contenants recyclables ou compostables
- Télécharger l’application pour téléphone intelligent Ça va où? de Recyc-Québec pour savoir comment disposer correctement de nos déchets
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Ce texte est paru dans un cahier de la série Manger le Québec, produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, en partenariat avec Caribou.