La fin du marathon de Patrice Pâtissier
Publié le
08 août 2022
Texte de
Geneviève Vézina-Montplaisir
Photos de
Maude Chauvin
Comment vous sentez-vous à la veille de la fermeture?
Marie-Josée: On ressent beaucoup d’émotions mélangées! On est très zen avec notre décision, mais les dernières semaines ont été hyper stressantes. Les commandes partent à une vitesse qu’on n’a jamais vue. Quand on ouvre le matin, il y a une file d'attente devant la boutique.
Patrice: Les semaines ne sont même pas commencées qu’il n’y a plus rien à vendre sur la boutique en ligne. La semaine dernière, on a vendu plus de desserts que dans la semaine de Noël!
Marie-Josée: Ça cause du stress, car il y a beaucoup de clients insatisfaits qui n’arrivent pas à avoir ce qu’ils voulaient. C’est plate, car je gère plus de plaintes que je n’ai jamais gérées.
Patrice: Une chance qu’on peut s’appuyer sur notre super équipe. On essaie juste de gérer notre énergie et notre stress jusqu’à la fin. C’est comme faire un marathon!
Quel est le dessert que les gens viennent le plus se procurer ces dernières semaines?
Patrice: Le kouign-amann. Étrangement, j’ai goûté pour la première fois cette pâtisserie emblématique de la Bretagne à San Francisco. À Montréal, je connaissais bien sûr le Kouign-amann sur l’avenue du Mont-Royal. Cependant, quand j’ai développé ma recette pour mon émission à Canal Vie, à ma connaissance, il n’y avait personne qui en faisait des formats individuels à Montréal. Comme la production trouvait que la recette était trop complexe à réaliser, je ne l’ai jamais faite à la télé. Par contre, je me suis dit: «J’ai travaillé fort sur cette recette, je la garde, et un jour elle va m’être utile». Quand le projet de la pâtisserie est arrivé, rapidement le kouign-amann est devenu un produit signature de la boutique, et aujourd’hui, c’est le plus gros vendeur.
Qu’est-ce que les gens vous disent le plus quand ils viennent acheter leurs derniers desserts?
Marie-Josée: «Pourquoi! Pourquoi vous fermez?» Les gens sont tristes. Pour certains, on fait vraiment partie de leur routine et ils sont vraiment désemparés par la fermeture. Ils nous disent: «Je vais aller où maintenant?» Ils ne comprennent pas notre choix. C’est vrai que c’est rare qu’une entreprise ferme quand elle va bien.
On a beau leur expliquer qu’on travaille très, très fort et qu’on a besoin de temps pour nous, mais c’est dur pour les gens qui ne sont pas dans le monde de la restauration de comprendre notre rythme de travail.
Patrice Demers
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Patrice: Même ma mère m’appelle encore le samedi matin pour me jaser ou me poser une question alors que c’est le moment le plus occupé de ma semaine!
Quand vous regardez le chemin parcouru, de quoi êtes-vous le plus fiers?
Patrice: De la manière dont on a géré la pandémie. On n’a pas laissé tomber nos employés. On a reprogrammé la boutique en ligne, qui était juste fonctionnelle pour les cours et les bûches de Noël. On a mis tous les desserts sur la boutique et ç’a été notre meilleure décision ever.
Marie-Josée: Ce dont on peut être fiers aussi c’est que Patrice a toujours gardé la même qualité que celle qu’il voulait faire au départ. Même si, financièrement, ça avait plus ou moins de sens parfois. À la fin de chaque journée, on a toujours donné ce qui n’avait pas été vendu à un organisme via La Tablée des Chefs.
Patrice: On n’a jamais gardé un biscuit plus de 24 heures. On n’a jamais revendu le lendemain un gâteau aux bananes ou un scone même s’ils étaient encore très bons.
Marie-Josée: Même quand ça allait mal, et même quand on fait 5000 desserts par semaine – comme c’est le cas présentement –, tous les desserts qui se retrouvent sur le comptoir sont parfaits. S’ils ne le sont pas, ils n’y rentrent pas.
Vous parlez de moments difficiles. On pourrait penser que parce que Patrice a une belle notoriété, ça a toujours roulé pour vous.
Patrice: On a investi beaucoup de notre argent au départ. Il n’y a pas eu un gros investisseur derrière nous. On a un associé, mais il n’y a personne qui nous a backés en nous disant: «Faites ce que vous voulez, je ne suis pas pressé d’être remboursé». On est allé à la banque, et la banque, il faut que tu la rembourses. Il y avait donc cette pression-là de faire du volume.
Marie-Josée: On a fini par avoir le succès et la popularité qu’on connaît aujourd’hui, mais cela nous a pris trois ans pour être rentable et bâtir notre clientèle régulière. On n’avait jamais eu de pâtisserie, donc il y avait aussi beaucoup de choses auxquelles on n’avait pas pensé au départ: le coût de l’emballage, par exemple.
Patrice: Au début, on ne vendait pas nos pâtisseries assez chères pour la qualité des produits qu’on utilisait. On était le plus haut de gamme en ville et on vendait une pâtisserie 5,25$, ce qui était très peu pour la qualité et la fraîcheur du produit.
De quoi allez-vous vous ennuyer le plus?
Marie-Josée: Des clients qu’on voit souvent. Il y en a dont on a vu les enfants grandir. Il y a un petit gars qui est venu la semaine passée, sa mère l’allaitait quand on a ouvert, et là, il a huit ans!
Patrice: Cet enfant-là, le biscuit au chocolat c’est SON biscuit. Il a grandi avec. Il arrête en chercher deux à trois fois par semaine. Il est d’ailleurs venu acheter mon livre pour pouvoir les cuisiner quand on va être fermé.
Et de quoi n’allez-vous pas vous ennuyer?
Marie-Josée: De l’horaire! Je ne suis pas matinale du tout. J’aurais dû y penser avant d’ouvrir une pâtisserie! Patrice arrive à 5h du matin et tout doit être prêt à 10h pour l’ouverture. Si tu as un employé à 7h qui appelle parce qu’il est malade, ça ne te laisse que 2h pour trouver une solution. Le fait d’avoir un deadline chaque matin à 10h, je ne vais pas m’ennuyer de ça!
Patrice: Moi, c’est plus le côté répétitif dont je ne vais pas m’ennuyer. On change souvent les desserts, mais il y a la moitié de ceux que l’on fait qui ne changent pas, qui sont des classiques. Parce que les clients les demandent, mais aussi parce qu’ils sont nécessaires au bon fonctionnement de la cuisine. Ça prend des financiers à l’érable et des scones, que toute l’équipe peut faire les yeux fermés, et qui sont faciles à faire en grande quantité, mais c’est routinier. Contrairement à un restaurant, ici, je ne peux pas décider le matin même que je vais faire un nouveau dessert, car ça va me prendre des moules pour en faire 200. On ne peut pas être très flexible, tout doit être planifié.
Comment se porte le milieu québécois de la pâtisserie?
Patrice: Mieux que jamais, je dirais. Il y a vraiment quelque chose qui se passe, beaucoup de créativité. C’est sûr qu’avec le manque de main-d’œuvre, le coût des aliments qui augmente sans arrêt et les difficultés d’approvisionnement, ce n’est pas facile, mais depuis les dernières années, il y a beaucoup de belles petites pâtisseries comme Lecavalier Petrone qu’on a vu apparaître dans le paysage québécois. Il y a des jeunes encore motivés, mais ce n’est pas facile de faire du haut de gamme sans trop de compromis.
Et finalement quels sont vos projets futurs? Que va-t-il se passer pour vous au lendemain de la fermeture?
Marie-Josée: On va prendre tout le mois de septembre pour finaliser la fermeture. Car même si la porte sera fermée le 21 août, il faut gérer les équipements. Il y a beaucoup de paperasse à faire aussi, car il faut fermer la compagnie. Ensuite, on part tout le mois d’octobre en Italie pour de vraies vacances. On n’a jamais pris plus que 11 jours de vacances consécutifs! Le plan c’est de ne pas avoir de plan jusqu’à ce qu’on revienne début novembre. On veut juste profiter de la vie, avoir des week-ends.
On a eu quatre samedis de congé en huit ans, incluant le jour de notre mariage! On ne veut pas prendre d’engagement pour l’instant. On va laisser la poussière retomber, mais clairement tous les deux on s’ennuie beaucoup de la restauration.
Marie-Josée Beaudoin
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Patrice: Hier, on était au resto Vin Mon Lapin et on réalisait à quel point on est confortable et on aime l’ambiance dans un restaurant. Quand on voyage, on est beaucoup plus excité de visiter des restaurants que des pâtisseries. On y allait pour comparer, plus par curiosité, pas parce que ça nous faisait vraiment vibrer.
Marie-Josée: On va sûrement retourner travailler dans un restaurant, mais le but n’est aucunement d’ouvrir le nôtre. On a réalisé que la partie entrepreneuriale, ce n’est pas notre partie préférée. Moi, je veux juste m’occuper des clients et Patrice veut juste servir des desserts!
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