La naissance d’une nouvelle identité brassicole québécoise
Publié le
21 mars 2023
Texte de
Martin Thibault
Avant ce mouvement, l’identité du Québec à l’international était étroitement liée aux bières belges, entre autres grâce à l’excellent travail d’Unibroue en ce sens, puis aussi aux bières industrielles canadiennes, peu distinctes si on les compare aux bières du même acabit produites de l’Occident à l’Afrique.
Comme le notait Lars Marius Garshol, chercheur et auteur brassicole norvégien, lors de sa visite au congrès de l’Association des microbrasseries du Québec en novembre, «quelque chose de spécial semble se passer ici; quelque chose d’envergure que je ne vois pas ailleurs en Amérique ou en Europe».
Notre nouvelle identité ne proviendrait pas de styles de bières précis que l’on pourrait inventer. Elle vient plutôt d’une façon de juxtaposer nos connaissances internationales à notre observation du territoire dans lequel on vit.
Deux sources
Cette identité puise sa nature de deux sources: 1) les aromates nordiques et 2) la créativité des brasseurs férus en plusieurs styles de bières d’inspiration diverses et l’hybridation de procédés qui s’ensuit.
Dans les aromates nordiques, on retrouve autant le sirop d’érable que certains fruits comme la camerise, autant des pousses d’épinette que d’autres verdures typiques aux forêts et aux jardins de chez nous. Les passionnés de houblons dévergondés ne sont pas laissés pour compte, car il y a aussi des houblons québécois qui commencent à se démarquer. On peut en témoigner par exemple dans la Coös, de la brasserie 11 Comtés, en Estrie. L’alliage des cultivars Sorachi Ace, cultivé chez Les Jarrets Noirs et des Nugget et Chinook de chez Houblons Bastien, crée des accents de noix de coco et d’ananas, des saveurs tout indiquées pour s’installer sur la douceur de l’épeautre crue bio de Compton. Même si ces houblons possèdent des noms provenant d’ailleurs, il est clair que ces versions des terres québécoises développent un profil bien distinct des cultivars originaires du nord-ouest américain.
3 bières brassées au Québec où cette identité naissante est palpable
La Mouche – Nabiss
Le travail acharné de cette brasserie artisanale de Natashquan engendre des bières de soif uniques au monde. Exemple: cette blonde est non seulement fermentée en partie avec une souche de levure pichia récoltée sur de l’églantier local, mais elle poursuit sa fermentation à froid comme une lager, avant de subir une prise de mousse naturelle de longue haleine en bouteille. Le résultat sec et raffiné regorge de pointes herbacées et fruitées, gracieuseté du nouveau houblon Vista.
Terre à Boire – Saison Seigle
Les efforts impressionnants de cette ferme brassicole de Montérégie sont perceptibles dans toutes leurs bières, qui mettent toutes en valeur des grains cultivés sur place, de l’orge au maïs, en passant par le blé ou le seigle. Cette Saison met également en vedette l’armoise, une plante qui suggère des accents floraux bien dosés, ensuite arrondis par un passage dans une barrique de chêne mouillée d’un vin blanc fruité. Voilà un succulent exemple d’hybridation de connaissances qui, lorsqu’entre bonnes mains, façonne quelque chose de délicieusement nordique.
Brett & Sauvage – Jardin Arthur
Une bière de fermentation spontanée de 2019, macérée en barriques de chêne avec de la rhubarbe et du basilic des Jardins Arthur, embouteillée avec une prise de mousse naturelle avec du miel local; voilà ce que propose cette petite brasserie gaspésienne près de trois ans de maturation plus tard. Rien ne ressemble à cela sur la planète-bière. Sèche, acidulée, facile à déguster; un savoureux exemple de ce qui contribue à l’identité brassicole du Québec.