«Quand on s'compare...» - Caribou

«Quand on s’compare…»

Publié le

06 janvier 2022

Texte de

Christian Bégin

L’animateur et comédien Christian Bégin partage son temps entre Montréal et Kamouraska. Appartenant à la fois à une communauté rurale et à une communauté urbaine, il se questionne sur ce qui les distingue et les unit.
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L’animateur et comédien Christian Bégin partage son temps entre Montréal et Kamouraska. Appartenant à la fois à une communauté rurale et à une communauté urbaine, il se questionne sur ce qui les distingue et les unit.
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— Là chus tannée! À chaque fois c’t’une bataille!
— J’aime pas ça…
— Non! Là tu manges tes choux d’Bruxelles!!
— J’aime pas ça!!
— R’garde ton amie Ginette. À les mange, elle, ses choux d’Bruxelles, pis ‘est pas morte. À l’aime ça! Han, Ginette? C’est bon, les choux d’Bruxelles de madame Bégin…?

Qu’est-ce que vous vouliez qu’elle réponde? Pour vrai?!

Elle n’avait PAS D’AUTRE CHOIX que de dire qu’elle aimait ça!

Donc, bien évidemment, elle disait oui, péniblement, en prenant une autre bouchée de ces choux de Bruxelles sur-bouillis, mous, sans sel, ni beurre, ni RIEN pour les aider, et qui – et c’était inéluctable pour quiconque en mangeait, même mon père quand il était à la maison – lui roulaient dans ‘bouche.

C’est chien, on va se l’dire!

C’est dégueulasse comme procédé! C’est orwellien, sans que ma mère l’ait su…

(Petit temps)

La tentation de se comparer est forte, puissante et pernicieuse.

Ça commence par «Regarde ton amie Ginette» et ça peut finir par un génocide.

Parce que ça va dans les deux sens. «Regarde le voisin comme son nez est épaté»…

Là, vous vous dites sûrement quet’chose du genre: «Ah, c’est aujourd’hui que Christian l’échappe…» ou «On dirait qu’y s’est trompé d’magazine…»

Ça s’peut. Mais donnez-moi encore quelques mots.

On parle communautés dans ce numéro de Caribou.

Et je constate depuis quelques années qu’on oppose souvent, en les comparant à l’aune de nos biais – et ils sont nombreux! –, les communautés urbaines et rurales.

Souvent, on a une vision fantasmée, pastorale ou distordue et gonflée de préjugés de l’une ou l’autre de ces communautés, dépendant du râtelier auquel on mange.

J’ai donc demandé à des amis-amies de la campagne – appelons-les ici gentiment «les rats des champs» – ce que la ruralité peut apporter à l’urbanité. J’ai aussi demandé à des amis-amies et collègues de la ville – appelons-les ici gentiment «les rats des villes» – ce que l’urbanité peut apporter à la ruralité.

Juste pour voir. Parce que c’est ça, le fameux «vivre-ensemble», non? C’est apprendre les uns des autres. Emprunter, s’approprier une partie de la réalité de l’autre et s’en nourrir, pour bonifier la sienne. Sinon, on se tribalise. On le voit. On le vit. On est en plein dedans. Au cœur de l’idéologie tribale et d’une espèce de Nouveau Moyen-Âge (1).

Anyway…

Pas de réponse du côté des rats des villes. Nada. Rien sur le radar. Ce n’est pas un jugement, c’est un constat.

Du côté des rats des champs, on a pris le temps de réfléchir, de m’offrir plusieurs pistes de réflexion. Les réponses de toutes et tous ont été généreuses et, à certains égards, très «instructives», inspirantes.

Ça, c’est la réalité. Ce sont les résultats premiers de l’expérience à laquelle je les ai conviés. Et ce premier constat s’explique de plusieurs façons, sans aucun doute. Y a mille raisons qui justifient le silence des uns et les réponses des autres. Je sais ça. Certaines dépendent de moi, c’est incontestable. J’ai mal choisi mes rats des villes. Mon approche était maladroite. Peut-être intrusive pour certains et certaines. J’ai présumé d’un lien qui est plus ténu avec les rats des villes que celui qui m’unit aux rats des champs. Name it! C’est pas important. Pas pour le moment…

La vraie vérité? J’étais déçu. En colère. Et la tentation a été grande d’en conclure que les rats des villes «ont le nez trop épaté». Naïf que je suis! J’aurais dû m’en douter. «Les rats des villes, y sont d’même!»

(Petit temps)

S’il est vrai qu’il peut être dangereux de s’adonner à l’insidieux jeu des comparaisons, il faut cependant ne jamais hésiter à célébrer nos différences.

Les célébrer pour mieux nous comprendre mutuellement. Pour mieux vivre ensemble. Tout en conservant ce qui nous caractérise selon le territoire qu’on occupe, selon d’où on vient, selon qui on est, la langue qu’on parle, etc. Ce sont ces différences qui contribuent à la richesse et à la singularité de chaque communauté.

Ensemble et différents.

(Petit temps)

Il n’est pas de telle chose que des citoyens et citoyennes du monde.

Bien sûr que ça existe, des rats des villes et des rats des champs.

Bien sûr qu’ils n’appréhendent pas le monde de la même façon.

Que leur rapport au temps, par exemple, n’est pas le même.

J’y reviendrai autrement, d’ailleurs.

Bien sûr qu’il s’agit là de deux, sinon de mille communautés différentes.

Il n’y a pas UNE ruralité, pas plus qu’il n’y a UNE urbanité.

Et c’est tant mieux!

Ma prémisse était glissante un peu, j’avoue.

Mais l’affaire, c’est que, sur le coup, j’ai été tenté de vraiment diviser le monde entre les rats des villes et les rats des champs, à la seule lueur de cette question. Et d’en conclure, en m’en excluant, que «kesse tu veux, les rats des villes, y sont d’même…»

Mais pour vivre ensemble, pour accueillir nos différences et les célébrer tout en nommant et en célébrant notre unicité, il faut… Non. J’AI DÛ! J’ai dû résister à la tentation d’inviter Ginette dans la conversation.

Dans un autre article publié en mai 2021 sur le site de Caribou, j'ai partagé avec vous, dans un contexte autre, les réflexions de mes amis-amies de la ruralité, de cette ruralité multiple. Il y a là, j’ai l’impression, des sillons à creuser pour semer les graines d’un meilleur vivre-ensemble, toutes communautés confondues…

Cela dit, et une fois ceci exposé, sommairement j’en conviens, une fois cette réflexion lancée, c’est sûr que, à l’arrivée, savoir faire cuire des choux de Bruxelles comme du monde, ça aide…

Juste couper le trognon des choux, les effeuiller un peu, les couper en deux, un peu d’huile, du sel, du vinaigre blanc balsamique, du citron. Brasser tout ça, étaler sur une plaque un papier parchemin, «pitcher» les choux de Bruxelles sur la plaque et mettre au four à 400 °F jusqu’à ce qu’ils soient un peu «carbonisés»… Poivrer au service. Du poivre des dunes. Pourquoi pas?

Christian Bégin, rat. Des deux.


(1) Alain Minc, Le nouveau Moyen-Âge
Première parution en 1993
Collection Folio actuel (n° 43), Gallimard


Ce texte est paru initialement dans le numéro 13, Communautés, sorti au printemps 2021

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